Le personnage de Marina Prusakova Oswald Porter m’a toujours fasciné. On lui a trouvé de nombreux défauts ou à l’inverse une capacité à faire face hors du commun. C’est selon les sentiments de chacun et la façon de la situer par rapport aux évènements. Peut-être a t-on trop souvent retenu l’image négative qu’elle a donné d’elle même ou celle dont on l’a affublée au début de l’enquête. A ce moment là, on a accusé Marina de s’être laissée manipuler par les autorités fédérales et en particulier par le FBI chargé de l’intérroger. Ces accusations reposent sur le fait que :
- Marina se trouvait dans une situation précaire et craignait de se voir expulser dans son pays d’origine ;
- Sans ressource, elle aurait été une proie facile pour ceux qui lui garantissaient la sécurité matérielle en échange de sa collaboration sans faille ;
- Sa mémoire soudaine à propos de faits intervenus dans les mois précédents l’attentat et dont elle n’avait jamais fait mention à qui que ce soit ;
- Son changement brutal dans ses propos à l’égard de son mari ;
- Son isolement dans un endroit tenu secret immédiatement après la mort de son époux où seuls le FBI et les Services Secrets étaient habilités à se rendre, acheva d’accentuer les doutes de ceux qui considéraient déjà auparavant son attitude comme suspecte.
Il ne m’appartient pas de juger ou d’accabler une femme qui venait de subir un traumatisme important. Etrangère et Russe de surcroît, ne s’exprimant pratiquement pas en anglais il lui fallut assumer le statut de femme de l’assassin présumé du Président des Etats-Unis. De plus, elle venait d’assister à l’exécution de son mari par Jack Ruby sans qu’il y ait eu un procès permettant de juger de sa culpabilité. Sans ressource et avec deux enfants en bas âge, sa situation n’était pas des plus enviables.
Dans ces conditions peut-on vraiment lui tenir rigueur d’avoir eu des moments de faiblesse ou de n’avoir pas saisi toutes les nuances des questions qui lui furent posées dans une langue qu’elle ignorait ou presque et qu’un interprète ne sait pas toujours rendre. J’aurai donc plutôt tendance pour ma part à prendre sa défense tout en faisant remarquer que la Marina d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec la jeune Russe empruntée et effrayée de Novembre 1963. Depuis elle maîtrise la langue anglaise et elle est revenue sur plusieurs de ses déclarations antérieures. Désormais elle ne croit plus à la culpabilité de son mari. Evidemment certains de ses détracteurs prétendent que son changement d’attitude envers Lee Harvey Oswald est souvent dicté par les thèses à la mode du moment et fonction des livres pro ou anti conspirationnistes écrits. C’est un peu facile et insultant à la fois pour Marina Porter (du nom de son deuxième mari) de ne voir en elle qu’un personnage vénal et sans scrupule. Ne serait-ce que par respect pour ses deux filles June et Rachel, son fils et pour elle même, un peu plus de considération serait la bienvenue.
Revenons maintenant sur les pressions auxquelles elle aurait été soumise par le FBI. Intérrogée dans le cadre de l’enquête du HSCA en 1978. Elle décrit avec ses mots et un vocabulaire limité les pressions ou "brutalités" dont elle fut l’objet de la part de son mari et du FBI. Le passage suivant est révélateur de la difficulté pour Marina de s’exprimer et de son manque de vocabulaire pour dépeindre deux types de brutalités. A partir de là et en l’absence d’une parfaite honnêteté intellectuelle, on comprend pourquoi et comment 15 ans plus tôt certains amalgames ont pu être faits.
Marina (Oswald) Porter est interrogée par le Représentant du Congrès Dodd au cours de l’enquête du HSCA :
Monsieur. Dodd :
- Merci, monsieur le président. Mme Porter, juste quelques questions. Dans votre réponse à une question du membre du Congrès Monsieur Edgar au sujet du genre de traitement que Lee Oswald vous infligeait, vous l’avez décrit comme un traitement brutal. Plus tard dans votre témoignage d’hier, intérrogée à propos du FBI, et de leur traitement à votre égard, vous avez également décrit leur traitement à votre encontre de brutal. Tels étaient les mots que vous avez employés. Je vous demande de bien vouloir clarifier ce que voulez dire par là. Vous avez qualifié aujourd’hui de traitement brutal le fait d’être frappé par Lee Oswald. Dois-je comprendre par l’utilisation du mot " brutal " dans votre description la façon dont vous avez été traitée par le FBI et que vous laissez entendre que vous avez été également physiquement maltraitée par le FBI ?
Madame Porter :
- Je tiens à m’excuser pour mon vocabulaire très faible en anglais. Rétrospectivement, j’ai peut-être abusé de ce mot. Brutal, dans le cas de Lee s’appliquait à une atteinte physique. Je ne connais pas un meilleur mot pour le décrire. Quand quelqu’un vous traite durement et vous blesse psychologiquement ou a ---
Monsieur Dodd :
- Comment le décririez-vous ?
Madame Porter :
- Quoi qu’il en soit, le FBI ne m’a pas frappé physiquement.
Monsieur Dodd :
- C’était plus une question de ton dans l’interrogation et ainsi de suite ?
Madame Porter :
- Oui.
Monsieur Dodd :
- Comment le décririez-vous ?
Madame Porter :
Quoi qu’il en soit, le FBI ne m’a pas frappé physiquement.- C’était plus une question de ton dans l’interrogation et ainsi de suite ?- Oui.
Ceci n’est qu’un extrait parmi d’autres mais révélateur de sa difficulté et de sa gêne. Aussi il est intéressant de s’attarder sur la personnalité d’une femme qui s’est retrouvée bien malgré elle sous les feux des projecteurs dans un pays qu’elle venait à peine de découvrir.
1 - Exposée malgré elle :
Il ne s’agit pas de refaire une biographie de Marina Prusakova. D’autres l’ont déjà fait et de façon remarquable. Tout a été dit sur ses origines, sa vie à Leningrad son arrivée à Minsk chez son oncle et sa tante, sa rencontre avec Lee Harvey Oswald, son mariage peu de temps après leur rencontre et enfin le départ pour les Etats-Unis en juin 1962 et le début de ce qui devait être pour elle une nouvelle vie pleine d’espoirs et de promesses loin de chez elle, de ses amis et de ses racines culturelles.
Norman Mailer, le grand écrivain américain, raconte tout cà de fort belle manière dans son livre "Oswald, un mystère américain" (Plon). Résultat d’une enquête minutieuse opérée en Russie et au Texas, la lecture de cet ouvrage permet d’avoir un apercu assez précis de la personnalité complexe de Lee Harvey Oswald et de celle non moins intéressante de Marina Oswald et enfin de Marina Prusakova Porter.
Une grande solitude :
Un rappel de son contexte personnel est indispensable pour comprendre les réactions du personnage placé tout d’un coup sous les feux de l’actualité. Au moment de l’assassinat du Président Kennedy à Dallas le 22 Novembre 1963, la situation de Marina Oswald n’est pas très confortable. Moins de deux ans après son arrivée aux Etats-Unis, son intégration n’est toujours pas intervenue. Elle ne parle pas du tout l’anglais et elle est très dépendante de son entourage. De son mari Lee quand il s’en occupe et quand il est disposé à le faire, de son ami Ruth Paine qui l’héberge à Irving près de Dallas au moment du drame et dans une moindre mesure de la communauté russe de Fort Worth / Dallas qui constitue l’étape de transition nécessaire avant sa mutation américaine. Aussi, une fois son mari arrêté et conduit dans les locaux de la Police de Dallas, on comprend aisément le sentiment d’isolement et de détresse qui a du être le sien quand elle est allée rendre visite à son époux incarcéré, accompagné de Ruth Paine. Incapable de répondre aux journalistes qui l’assaillaient de questions, sentant bien une certaine hostilité de leur part du fait de ses origines russes, la jeune femme de 22 ans un peu gauche qu’elle était alors a du se sentir complètement désemparée. Ce fut encore plus vrai le 24 Novembre 1963 quand, à son tour, Oswald était abattu par Jack Ruby dans les locaux de la Police lors de son transfert vers la prison du Comté. Femme de l’assassin présumée du Président, elle devenait subitement sa veuve, à 22 ans, sans resource ou presque et avec deux enfants en bas âge. Elle se retrouvait seule et devait faire face à des évènements pour lesquels elle n’était ni armée et encore moins préparée. Partant de là, son attitude du début de l’enquête est logique. Les autorités fédérales allaient la mettre dans les conditions nécessaires pour s’assurer de sa coopération.
La protection fédérale :
Que les autorités fédérales aient voulu protéger Marina Prusakova et la famille d’Oswald après les évènements tragiques de Dallas n’a rien de répréhensible en soi. Il était bien naturel de leur assurer un minimum de sécurité pour éviter de compliquer les choses en les tenant à l’écart. On pouvait craindre pour leur sécurité tant les esprits réprobateurs ou ceux qui avaient des velléités de venger le Président assassiné étaient nombreux. Marina et ses enfants étaient donc des cibles particulièrement vulnérables. Que les autorités aient profité de cette situation d’isolement pour faire avancer l’enquête au pas de charge et en exerçant une certaine pression sur Marina est beaucoup plus contestable. Même si la quête rapide de la vérité était un but louable, les moyens employés sur la veuve de l’assassin présumé, désemparée et terriblement handicapée par la barrière de la langue restent discutables. Dans ses conditions, la coopération de Marina ne pouvait être que totale. Craignant d’être expulsée vers son pays d’origine, en proie à des difficultés financières importantes, il est légitime qu’elle ait pensé avant tout à elle et à ses enfants. Pour être complètement objectif Marina était de toute façon disposée à coopérer comme elle l’a dit par la suite. Faisant confiance aux autorités de son pays d’accueil qui ne cessaient de lui dire que son mari défunt était coupable, elle finira par s’en persuader et par apporter le complément d’information nécessaire qu’attendaient le FBI et les Services Secrets. C’est alors qu’apparaîtront :
- - les fameuses notes écrites en Russe laissées par Lee Oswald à l’attention de Marina début Avril, alors que manifestement il s’apprêtait à commettre un acte répréhensible ;
- - les non moins célèbres photos d’Oswald tenant l’arme supposée du crime que Marina déclara avoir prise dans l’arrière cour de leur résidence de Neely street. Longtemps l’objet de polémiques concernant leur authenticité, les experts du HSCA ont confirmé qu’il n’y avait pas de preuve d’un quelconque trucage. Seul le négatif de ses photos aurait permis de faire taire définitivement ceux qui malgré les différentes expertises en contestent toujours l’authenticité. Malheureusement ils n’ont jamais été retrouvés ;
- - La révélation du projet de détournement d’un avion pour se rendre à Cuba qu’Oswald avait échaffaudé au cours de l’été 1963 alors que le couple séjournait à la Nouvelle Orléans. L’histoire racontée en détail par Norman Mailer dans son livre vaut d’être lu. En particulier le moment où Oswald fait répéter en anglais à Marina le "haut les mains" nécessaire à tenir en respect les passagers de l’arrière de l’appareil tandis que lui s’occuperait de la partie avant de l’avion... ;
- - Le projet de retour d’Oswald en URSS via Cuba et son intention de renvoyer sa femme dans son pays d’origine par anticipation en l’obligeant à faire une demande de visa à l’ambassade d’URSS à Washington.
Il ne s’agit pas de contester les révélations de Marina qui sont sans doute vraies. Cependant, les moyens employés par les autorités pour lui forcer la main pouvaient influencer ses déclarations jusqu’à déformer éventuellement ses propos ou déclarations. La barrière de la langue et la qualité de l’interprète constituaient dans ce cas des éléments aggravants supplémentaires. Marina coopéra et finit par être assurée au bout du compte qu’elle ne serait pas renvoyée dans son pays et qu’une certaine assurance matérielle lui serait garantie. Son avenir immédiat assuré, ses ennuis n’étaient pas pour autant terminés. Désormais sa vie ne lui appartenait plus vraiment. Son histoire allait devenir publique et rien ne serait préservé. Son intimité, son patrimoine humain, sa progéniture faisaient maintenant partie du domaine public pour satisfaire une curiosité morbide. Mais il lui fallait repartir, elle n’avait pas d’autre choix.
2- Le nouveau départ :
Marina envahie dans sa vie publique se devait de réagir et de trouver protection. Ce n’est pas au sein de la communauté russe de Dallas qu’elle trouva le soutien nécessaire. Cette communauté, à tort ou à raison, a toujours trouvé suspect la façon dont les Oswald avaient quitté l’Union Soviétique. Surtout Marina qui était une citoyenne soviétique et à une époque où il était pratiquement impossible de quitter le rideau de fer. Maintenant qu’elle était devenue célèbre et de la pire des façons, cette communauté serait d’autant moins disposée à l’aider. C’est donc davantage vers les américains qu’elle trouverait l’aide nécessaire. Les milliers de $ reçus grâce aux exclusivités accordés à certains médias et plus tard à sa biographe officielle Priscilla Johnson Mac Millan, lui apporteront la sécurité matérielle dont elle avait besoin.
Mais elle avait surtout besoin de réconfort moral. C’est ce qu’aurait pu lui apporter Ruth Paine qui avait déjà protégé Marina de l’agressivité de Lee et de l’isolement dans lequel il s’ingéniait à la maintenir allant même jusqu’à lui interdire d’apprendre l’anglais. Mais très vite les amies d’hier vont s’opposer. Comme Marina le dira plus tard, par l’intermédiare de sa biographe officielle Priscilla Johnson Mc Millan qui avait obtenu l’exclusivité de son histoire, elle n’appréciera pas la façon de Ruth Paine de se mettre en avant et ce dès le 22 novembre 1963 dans les locaux de la police. Aussi, le temps passant et après une année difficile après l’attentat, Marina retrouvera un début de sérénité en achevant son intégration. Elle finira aussi par trouver une aile protectrice en la personne de Ken Porter qu’elle finira par épouser. Le mérite de cet homme sur lesquels les médias seront plutôt discrets, aura été important. Il lui donnera un nom derrière lequel ses filles trouveront refuge, leur garantissant de cette façon le relatif anonymat nécessaire à leur épanouissement. En échange elle donnera un fils à Ken Porter. Mais cette union ne resistera pas aux tempêtes successives que ne manqueront pas de déclencher les enquêtes qui suivront celle déjà éprouvante qu’avait constitué la Commission Warren.
3 - Rattrapée par le passé :
Une certaine malédiction semble poursuivre Marina Prusakova. Le lourd tribu payé paraît insuffisant pour exorciser le simple fait d’avoir été l’épouse de Lee Harvey Oswald, l’assassin présumé de John Fitzgerald Kennedy. A chaque fois qu’elle semble retrouver un peu de repos, une nouvelle enquête la rappelle au bon souvenir de son passé. C’est d’abord l’enquête de Jim Garrison où elle sera obligée de témoigner puis celle du HSCA où une fois encore elle devra raconter son passé, son intimité. Enfin le ARRB avec lequel elle échangera une correspondance aigre douce tant ce dernier la traitera avec une relative désinvolture. Voir à ce sujet ses deux correspondances :
http://www.jfk-info.com/mar04.htm
http://www.jfk-info.com/mar09.htm
Mais malgré tout on ne peut être qu’admiratif devant sa ténacité et son courage qui lui ont permis de traverser tous ces tumultes. Malheureusement son deuxième mariage ne resistera pas à cette exposition médiatico-judiciare. Marina et Ken Porter finiront par divorcer. Quel couple aurait pu résister à une telle exposition et garder un relatif équilibre ? Quand vie privée et vie publique se confondent c’est l’espace de liberté de tout un chacun qui est bafoué. C’est ce qui est arrivé à Marina, elle a fini par être vaincu par un passé trop envahissant.
4 - Epilogue :
Alors que reste-t-il aujourd’hui à Marina Prusakova qui lui permette de retrouver l’espoir d’une paix intérieure. On lui a volé ses vingt ans, on lui a gâché la possibilité de bien redémarrer sa vie en lui rappelant sans cesse qu’elle avait été la compagne d’un monstre qui avait brisé le rêve américain. Enfin, son remariage a été un échec. Sa seule satisfaction véritable aura sûrement d’avoir su malgré tout protéger ses enfants de toute cette tempête pendant toutes ces années.
Je ne connais pas cette "héroïne malgré elle" des temps modernes. Je ne l’ai jamais renconté et pourtant elle ne me semble pas une inconnue tant sa vie privée nous a été abondamment contée. Peut-être nous faut-il l’oublier et lui laisser pleinement profiter des années qui lui restent à vivre. Le malheur veut que cette perspective lui sera interdite tant que toute la lumière sur l’assassinat n’aura pas été faite. Tant que les complices d’Oswald n’auront pas été clairement dénoncés, tant que les véritables commanditaires qui l’ont utilisé, avec son consentement ou malgré lui, n’auront pas été désignés, tant que nous serons nombreux à nous poser des questions et à attendre des réponses apaisantes, Marina ne pourra pas vivre pleinement sa vie. Mais le temps presse et les années d’attente n’ont que trop duré.
En attendant et comme l’a si bien souligné Norman Mailer dans son ouvrage, le bleu extraordinaire de ses grands yeux donne encore plus de force au regard perdue de Marina qui semble dire :"laissez-moi enfin tranquille, j’aspire à vivre."